mardi 18 novembre 2008

Revue de lecture - 2008 - novembre

Bibliothèques, Internet et «déculturation»Lectures p.6-11, septenmbre –octobre 2008, par Florence Richter, Rédactrice en chef de Lectures

L’effacement des frontières entre le virtuel et le numérique, les flux d’informations continus et le développement des réseaux sociaux qui ont rendues les ressources documentaires et informationnelles accessibles de façon instantanée et personnalisées a conduit à des mutations importantes dans les politiques d’acquisition des bibliothèques. Florence Richer commente le phénomène en soulignat l'obligation des bibliothèques à élaborer des nouveaux outils pour «aider et formaliser (parfois trop) ce travail».

Commentant le dernier ouvrage de Bertrand Calenge intitulé Bibliothèques et politiques documentaires à l’heure de l’internet dans lequel l’auteur «s’interroge sur la question «de l’inscription stratégique de la bibliothèque dans les nouveaux univers de flux et de sociabilités», Florence Richter relie la réflexion à la phénomène de la déculturation par l’internet évoquée de Renaud Camus dans son essai La grande déculturation.

Pour contrer la menace de l’interventionnisme de l’extrême droite que Calenge a dénoncé dans l’introduction de son ouvrage Les Politiques d’acquisition: constituer une collection dans une bibliothèque (Cercle de la librarie, 1994),les bibliothèques ont aussi établi des chartes des collections, des plans de développement des collections et protocoles afin de recentrer les collections hors de leur stricte dimension culturelle et dans leur dimension sociale et politique.
Dans l'ouragan du numérique, pour Bertrand Calenge, les bibliothécaires partent avec un triple avantage. les collections imprimées et les ressources électroniques car ils ont appris à gérer les collections et à choisir les contenus. Le sens critique et l’expertise aidants, ils bénéficient d’un préjugé favorable au départ de l’ensemble du public, dont ils ont en général la confiance et de la population qui considère les bibliothèques comme des réservoirs de savoir et comme «garanties démocratiques». Les supports traditionnels et les supports électroniques sont complémentaires et les bibliothécaires n’ont pas à redouter «l’utopie technophile». En fait, il s’agit de considérer la collection dans le nouveau contexte documentaire et social Le développement d’une interface unique pour l’accessibilité des contenus rend la cohabitation des supports nouveaux et anciens très envisageable sans avoir à transformer les bibliothécaires en infothécaires. Pour Calenge, «l’art de chercher» propre à la fonction de bibliothécaire n’est pas la même chose que «l’art d’informer ». Dans le chapitre «Prendre la mesure d’une collection », Calenge rappelle que les outils ou les indicateurs servent à plusieurs types d’évaluation : l’aspect volumétrique ou l’aspect intellectuel, l’utilisation, la logistique et l’économique. Surtout, il ne faut pas évaluer pour évaluer, l’évaluation doit être un outil de décision pour aider à planifier et doit être faite en fonctions des objectifs bien définis.

Car constituer un fonds n’est pas simplement élaborer une politique documentaire :une collection est un objet de politique publique. Il faut qu’il y ait articulation avec les fonctions d’acquisitions et conservation, avec les modes de classements, d’accès, de valorisations. Une collection est un outil de communication relié à l’environnement politique, au contexte local, aux besoins documentaires diversifiés du public. C’est pourquoi, après avoir passé en revue les outils d’évaluation formels et informels, dans le chapitre suivant, Calenge explique pourquoi il faut aborder la collection selon une «approche systémique», opposant les limites quantitatives de la modélisation par rapport au contexte. Intervient ici la théorie de la complexité d’Edgar Morin et de son école qui part du constat de l’insuffisance des disciplines trop a souvent fragmentées qui rendent mal compte des réalités vécues». Car une collection est une chose vivante et un «système complexe». Une collection comme un individu ou une société doit être vue comme un système, c'est-à-dire une composition homogène de parties individualisées «dont le tout est plus que la somme des parties».

Le chapitre V sur « les Flux électroniques, collections et usages» , et le chapitre Vl, « des collections aux modalités d’accès» résument les bouleversements apportés par l’internet pour les bibliothécaires qui ont vu leurs fonctions modifiées en conséquence et les nouvelles exigences dans la conduite de leur travail . L’importance quantitative et la diversification des contenus et des sources ont interpellé les bibliothécaires, forcés dorénavant à gérer «des flux, des bouquets d’accès pour un usage localisé et multiplication des itinéraires de connaissance, modalités d’archivage, de classements diversifiés, nouveaux types de catalogues, services en ligne, etc.»

Plus que jamais « l’art de chercher » des bibliothécaires est mis à contribution. Car chercher la réponse dans son contexte, sur Internet suppose la capacité de repérer en permanence les sites fiables. Ici les qualités d’un bon bibliothécaire dont l’intuition et les connaissances sont mis plus que jamais en contribution pour identifier les nouvelles ressources utiles, les mémoriser et pour «deviner» à travers les demandes formulées de façon peu précises leurs objectifs. Or, souligne Calenge, «décoder les fondamentaux» de toute requête exprimées parfois laconiquement, pour répondre dans les «termes adaptées aux contextes et niveau pressentis du demandeur » font appel à «diverses compétences qui ne peuvent être acquises par la seule formations initiales aux techniques documentaires » Ce niveau d’expertise relevant du savoir-faire dépasse le strict stade de la formation technique. Calenge rappelle ce principe qui semble un peu oublié par les technocrates ou les administrateurs pressés ou bercés par l’utopie technologique qu’on ne nait pas bibliothécaire, on le devient par la «confrontration à la réalité de l’évolution des savoirs et de la diversité des besoins».

Le développement des collections : plus que jamais au cœur des activités d'une bibliothèque
Le résumé de la pensée de Calenge se retrouve dans le chapitre Vll »Que reste-t-il de la politique documentaire?» À l’ère de l’internet, plus que jamais la politique documentaire est le moteur de l’activité de la bibliothèque toute entière. Grâce à la mise en ordre raisonnées et prescriptive des collections, la bibliothèque dans ses dimensions de localité, reste «la mémoire vivante, de contenus de savoirs et d’accompagnement des personnes».

L’objectivité du bibliothécaire est-elle une utopie ?
Étant donné que « le propre de la vie humaine en société est l’interaction des subjectivités est-il possible pour une bibliothécaire d’aider un usager sans y colorer sa propre personnalité ? Au nom du rendement, de l’efficacité, on demande aux bibliothécaires de devenir des « castrés intellectuels » sous prétexte de «respect» et de « neutralité» .

Problème combien délicat que dans la deuxième partie de son article, Richter soulèv, e en demandant si ce n’est pas par hypocrisie ou par crainte ou par scrupule excessif que les bibliothécaires acceptent d’ être «castrés intellectuellement» q au risque de faire le jeu du matraquage publicitaire qui véhicule l’unique message : « devenez de bons robots giga-consommateurs» .

Car la bibliothèque est le dernier endroit où l’enfant ou l’adulte «a une chance de rencontrer un détenteur vivant […] formé à l’approche riche et diversifiée des savoirs humains.» C’est pour cela que Richter préfère attribuer au bibliothécaire le rôle de guide et souhaite que les bibliothèques ne soient pas «soumises à la demande des usagers » mais soient capables de «suggérer par leurs activités et par l’originalité de leurs fonds des pistes inédites de curiosité dans tous les Osons le dire : la culture est discriminante !domaines du Savoir»

Volontairement polémique, dans La grande déculturation, Renaud Camus, auteur aussi de La dictature de la petite bourgeoisie, Privat, 2005 explique pourquoi, selon lui, plus la culture est exposée, moins elle a de consistance. Alors que les postes et stations de diverstissement prennent le devant, les journaux n’ont plus de lecteurs. Ils ajoute :« le paradoxe est l’objectif quantitatif, qui est au cœur de l’ambition démocratique en sa transposition culturelle» . .La dictature des taux d’audience ou d’écoute a eu raison de la qualité.
Pour Camus, la culture, par nature n’est pas démocratique est c,est bien qu’il soit ainsi. Car, «un homme cultivé ne l’est pas par la grâce du ciel » mais le résultat d’un travail, d’un exercice, du lent concours de circonstances favorables, de volontés longuement à l’œuvre, en lui et chez d’innombrables d’autres individus …» bref, un homme cultivé est résultat de multiples facteurs conjugués ensemble , le produit des enseignements, des apprentissages, des réflexions. Se cultiver, c’est se rendre supérieur aux autres, or si si tout se vaut, si tout est culture, alors plus rien n.’est culture. Pour Camus, il s’agit alors de démagogie et non de démocratie. Stigmatiser systématiquement toutes les «élites», les familles porteuses d’héritages, de patrimoines, de sens de l’histoire des société au nom de la dictature du présent et de l’actualité peut être auto-destructeur. Comme l’’inculture a toujours faim de nouveautés, on «aménage» la culture afin de la rendre accessible à tous mais ce faisant, on risque de la dénaturer, d’en arracher la poésie, de la discriminer, voire de la soustraire au silence source de sagesse.
Le bibliothécaire dans le contexte actuel doit être porteur de la culture générale de son époque, diversifiée et curieuse de tout et de tous . Il n’est pas érudit mais il aime se cultiver pour apporter aux autres non le Savoir, ni les méthodes de chercher mais une certaine façon d’appréhender le monde qui relève «peut-être plus du cœur necore que de l’intellect». Finalement, n’est ce pas cela son vrai rôle ? Être le maillon dans la chaine de l’acquisition des connaissances et le public, pour « se relier aux autres, au monde et à la société » ?

Par My Loan Duong,
MLS,Octobre 2008
Cet article est publié dans Corpo-Clip, n.177, Nov-janvier 2008

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